Cœurs
Voyage dans l’espace du dedans
Quel est ce cœur sinon une géographie de l’intime ?
Notre cœur bat; Il a son rythme propre ; il martèle dans notre corps une
pulsation pour nous dire qu’il ne bat pas que pour nous ; Il ne bat au contraire
que pour d’autres.
Il bat et se bat pour sortir de nous et habiter un autre corps, investir un
nouveau territoire en devenant captif lui-même d’un autre cœur.
Retenu dans un autre corps, il continue de pulser hors de nous.
Car si le cœur est une cartographie vivante et évolutive, il nous renseigne sur
notre cheminement propre.
L’expérience sentimentale devient alors une conquête d’espace vierge que
nous tenons à investir et asservir.
Cœur apaisé, cœur affolé, cœur durcit, cœur réparé, à la recherche irrésolu
d’une synchronie parfaite et impossible ; Tout le tissu cardiaque semble ainsi
modelé par ces fluctuations sentimentales. Il se forme des plis, replis, des sillons à
l’intérieur desquels se cachent des indices de vie, des indices de nous.
A quoi ressemblons-nous ? À quoi ressemble ce cœur dont la musique organise nos
pensées et notre activité cognitive. Il s’agit d’extraire cet organe anatomique de
son corps pour afficher ce qu’il cache autant que ce qu’il révèle sur notre
identité.
» Mes bras égarés plongent de tous côtés dans des ventres, dans des
poitrines; dans les organes qu’on dit secrets (secrets pour quelques-uns!).
Mes bras rapportent toujours, mes bons bras ivres. Je ne sais pas toujours
quoi, un morceau de foie, des pièces de poumons, je confonds tout,
pourvu que ce soit chaud, humide et plein de sang. » (Henri Michaux,
l’espace du dedans)
Il s’agit de fouiller le dedans de l’être avec une espèce de rage
désespérée. C’est le plus grand voyage.